Échouer la méditation pour s’ouvrir aux possibles

Je vous souhaite le meilleur des repos. Celui qui, vous mettant en retrait, saura vous faire chérir et désirer toute la saveur des jours.

Ce matin, comme souvent, j’ai échoué ma méditation. La plupart d’entre nous pourrait dire plutôt qu’ils ne sont pas arrivés à méditer. Mais comme il n’y avait pas véritablement de destination, je n’ai fait que prendre le bateau de ma vie, me laisser flotter, navigant avec plus ou moins d’adresse entre les pensées, avec elles parfois, pris dans les paquets d’histoires souvent, comme des algues, me retrouvant l’hélice mentale prise dans de longues histoires interminables et solides comme le « faire », bloquant fatalement le moteur même de mes actions semblait-il… et ce malgré la brise incessante et plus ou moins régulière de ma respiration à laquelle je tentais de m’accrocher. Mais quel spectacle !

Alors j’ai échoué. Oui, j’ai échoué, lâchement, fièrement, vivant, vraiment. Je me suis permis, pour un moment, d’explorer mon environnement, ma position, ma disposition même, un paysage qui à mon goût vaut toujours le détour. Je jette même à présent l’encre pour mieux m’assurer de ne pas me laisser dériver dès la prochaine marée qui voudrait déloger mon navire. Envie de poser quelque chose, par curiosité peut-être. Prendre un temps pour ça. L’une de ces pauses magiques que d’ordinaire le voyage est le plus à même d’offrir à nos vies.

J’ai échoué sur le sable, en vérité, mais je sens pourtant les moindres galets et cailloux rapper la coque de ma conscience de noix, entre sous-ci et sous-ça, trop vivant pour ne plus produire d’émotions, de sensations et de tout ce fatras magnifique qui véhicule toute la saveur de l’existence.

Non, je ne suis pas descendu de mon esquif cette fois-ci. Ni sortie de corps, ni expansion de conscience, ni transcendance ni nirvana ni quoi que ce soit d’autre qu’un bordel de pensées, d’émotions, d’envies, de frustrations, d’espoirs, et surtout de tout ce qui n’avait pas encore de catégorie. Mais j’étais là, avec moi-même, accueillant tant bien que mal tous ces éléments de matière de vie qui se présentaient à moi. Tant pis pour mon score au jeu du meilleur Bouddha !

N’étais-je donc pas en train de méditer ? Les forces qui me traversaient m’avaient-elles fait sortir, même, d’une « bonne pratique » ? Certes, j’avais réussi à m’assoir. Était-ce « suffisant » ? Mon dos était-il « bien droit » ? Je laisserai à ceux que ça intéresse le soin de s’occuper de cette catégorisation plus ou moins fertile, au risque de me voire excommunier par certains.

Je crois, finalement, qu’il est bon d’échouer sa méditation. Après tout, si c’est ce que la vie nous présente, pourquoi ne pas l’accueillir ? Rien ne nous dit que notre expérience s’arrêtera là. Au contraire. On y rencontre sa vie telle qu’elle est, par-delà les exercices tendus vers un but.

C’est bien là tout le paradoxe que de nombreuses traditions ont su intégrer dans une codification plus ou moins radicale de leurs pratiques, en accord avec la culture dans laquelle elles s’intègrent, renvoyant à la rigueur le soin de venir rencontrer toute l’intensité de notre existence, bien au-delà des simples désirs ou espoirs d’arriver à quelque chose.

Les retraites, cours et méthodes répondent à ces intentions. Ce sont de formidables outils. En sont-elles plus vraies ou véritables pour autant dans leurs démarches ? Je laisserai encore une fois à ceux que ça intéresse le soin de s’occuper de cette catégorisation. On en ferait même des religions.

J’entends tellement souvent quelqu’un me dire qu’il n’arrive pas à méditer pour ne pas trouver ça louche. A tel point que je finirais par croire qu’il y a là de grandes révélations sur la culture dans laquelle nous évoluons, et particulièrement sur son impact sur ce que nous voulons bien reconnaître de ce qui se présente à nous, chaque fois que « nous méditons ».

Que cherchons-nous à réussir au juste ? Que nous figurons-nous de ce qu’est, au juste, la méditation ? Quel regard portons-nous sur nous-mêmes, après tout, dans cette perspective d’y arriver ou non ? Est-ce que toutes ces considérations nous appartiennent, en définitive, à nous individus qui en faisons l’expérience ? Ou n’est-ce qu’une histoire parmi tant d’autres possibles que nous ne faisons qu’actualiser de nous-même ? Situant ainsi notre égo dans un ensemble d’expériences sur lesquelles notre culture ne fait que porter un discours, nous nous permettons d’exister ensemble en société. Nous réduisons pour autant à cela ?

Un potentiel créatif incommensurable se niche dans le dépassement de ces discours. Les reconnaître pour ce qu’ils sont, les laisser exister sans pour autant réduire notre expérience à ce qu’ils nous proposent… Quitte à observer la vie nous prendre dans un tourbillon d’intensité par moments, nous éloignant d’autant d’une « bonne pratique », telle qu’un certain récit mental voudra bien labelliser notre engagement dans l’instant.

Mais tout est impermanent. C’est même cela, à mon sens, et d’après ma lecture des grandes traditions, dépasser l’égo, l’ensemble d’histoires sans cesse renouvelées, qui tout à la fois réduisent notre conscience et nous permettent d’exister dans le monde et de vivre en société. Rien à rejeter. Tout à accueillir, pour ce que c’est. Laisser la vie s’exprimer, nous parcourir, s’exprimer au travers de nous, se renouveler plutôt que de vouloir l’enfermer désespérément dans ce que nous croyons déjà connaître ou vouloir expérimenter. Tout est déjà là, pour peu que l’on se mette en disposition de l’accueillir véritablement…

Pour vous partager mon exemple, lorsque je médite, en particulier avec une méditation guidée, je n’ai de cesse de produire des pensées en rapport à ce que je pourrais moi-même vous proposer comme méditation. Eh oui, drôle de déformation professionnelle ! Dès qu’une proposition stimule une sensation intéressante à mon esprit, celui-ci s’empresse en un éclair de l’intégrer dans le carnet gigantesque des possibles ou des envies que j’ai à transmettre ou partager. C’est quasi-systématique. En l’observant, j’apprends à connaître son fonctionnement. Je n’ai pas pour autant besoin de saisir un stylo dans l’instant et d’interrompre ma méditation, ni même d’y réfléchir. Au contraire, plus je laisse cela se présenter et disparaître, plus je laisse mon esprit opérer son tri naturel de l’information.

Parfois je me laisse embarquer dans ces considérations, rêvant à l’amélioration de mes propres invitations. Parfois je les laisse s’évanouir aussi vite qu’elles s’étaient présentées pour revenir à ma respiration, avant qu’elles ne reviennent à l’assaut quelques secondes ou minutes plus tard, pour peu que ce ne soit pas autre chose qui ait convaincu ma conscience d’y apporter l’attention exclusive d’un moment. Parfois, encore, j’observe une volonté chez moi plus combative, qui chasse les pensées pour tenter de maîtriser quelque chose, supplantant le manège des idées à celui du contrôle. Et tant d’autres cas de figures où les discours proposés par mon mental sur mon expérience n’en finissent pas de séduire ma conscience…

Alors je vous souhaiterai d’échouer vos méditations. Car toujours, ne serait-ce que dans la régularité de la pratique ou le fait d’y revenir quand l’irrégularité est plutôt notre norme, il s’y loge une source incroyable de beauté ressourçante. Juste pour voir, pour explorer, pour vous reposer peut-être avant de vouloir dormir. Pour simplement vous rencontrer là où vous êtes plutôt que de vous chercher ailleurs, dans ces promesses désuètes en un monde parfait dans lequel vous êtes pourtant déjà pleinement immergé. Et si l’échec de nos discours intérieurs était la porte ouverte aux aspirations profondes de l’âme, d’un soi supérieur, ou plus simplement peut-être de ce qui nous dépasse dans la vie et d’une certaine manière, peut-être encore une fois, nous guide ?

Allez, bonne année comme on dit. Échouez, arrivez, essayez, soyez vous même… la vie n’est pas une grande histoire dans laquelle on joue un rôle déjà écrit. On emprunte un chemin que l’on ne pourra jamais décrire que par après, toujours de façon différente selon l’instant dans lequel s’inscrira à nouveau ce discours.

Renoncer au changement, à chercher une expérience différente de celle qui se présente déjà-là, est une des clés magiques pour créer de l’espace, celui-là même où se déploie les possibles de la vie même. S’ouvrir à ce qui est pour mieux laisser la place à ce qui pourra devenir.

Sur ce, je vous laisse à présent en ce moment d’écriture pour mieux aller me reposer à nouveau. La vie m’y enjoins pesamment ces temps-ci. C’est que j’ai moi-même beaucoup à y apprendre.

Prenez soin de vous.

Jean-Christophe

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